I. Lésion corporelle grave (art. 122 CP)
« Est puni d’une peine privative de liberté d’un à dix ans quiconque, intentionnellement :
- blesse une personne de façon à mettre sa vie en danger ;
- mutile le corps d’une personne, un de ses membres ou un de ses organes importants ou rend ce membre ou cet organe impropre à sa fonction, cause à une personne une incapacité de travail, une infirmité ou une maladie mentale permanentes, ou défigure une personne d’une façon grave et permanente ;
- fait subir à une personne toute autre atteinte grave à l’intégrité corporelle ou à la santé physique ou mentale».
Les lésions corporelles graves, prévues et punies par l’art. 122 CP, constituent une infraction de résultat supposant une lésion du bien juridiquement protégé, et non une simple mise en danger. Il faut donc tout d’abord déterminer quelle est la lésion voulue (même sous la forme du dol éventuel) et obtenue (sous réserve de la tentative). Ce n’est qu’ensuite qu’il faut déterminer si ce résultat doit être qualifié de grave, afin de distinguer les hypothèses de l’art. 122 CP et celles de l’art. 123 CP (lésions corporelles simples).[1]
A. Eléments constitutifs objectifs de la lésion corporelle grave
1. Blesser une personne de façon à mettre sa vie en danger (art. 122 let. a CP)
L’on parle dans ce cas de danger immédiat de mort. Il doit s’agir d’un « danger de résultat », ce qui signifie que la blessure subie doit être la cause dudit danger.
La jurisprudence indique que si le danger résulte d’un comportement, par exemple un étranglement n’ayant entraîné aucune blessure grave, il convient de faire application de l’art. 129 CP (mise en danger de la vie d’autrui)[2].
Le danger est réalisé si, au moment des faits, « l’issue fatale est apparue comme vraisemblable, sérieuse et proche »[3]. La jurisprudence parle de « forte probabilité d’une issue mortelle », ladite probabilité étant généralement constatée dans un rapport médical[4].
Ainsi, la simple possibilité – même théorique – qu’une mort survienne ne suffit pas[5].
2. Une lésion grave et permanente (art. 122 let. b CP)
Selon cette disposition, une lésion corporelle grave peut revêtir la forme d’une lésion dite grave et permanente.
Tel sera notamment le cas lorsque le corps, un membre ou un organe important est mutilé. Le terme de « mutilation » ne recouvre pas seulement la perte ou la destruction totale d’une fonction du corps humain. Cela comprend également la sévère dégradation ou l’atteinte durable et irréversible d’un membre ou d’un organe, ledit membre ou organe étant ainsi atteint dans son fonctionnement.[6]
Par « membres importants » il faut comprendre notamment les bras, les jambes, les mains, les pieds, les coudes, les épaules et les genoux.[7]
Par « organes importants » il faut comprendre les organes vitaux tels que le cerveau, le cœur, les poumons etc.[8]
Selon la jurisprudence, le fait de porter des coups à la tête avec les poings, les pieds ou des objets dangereux est susceptible d’entraîner de graves lésions et même la mort de la victime, ce risque étant d’autant plus grand lorsque par exemple celle-ci gît au sol sans être en mesure de réagir ou de se défendre, notamment lorsqu’elle est inconsciente.[9]
Le Tribunal fédéral affirme qu’« une personne capable d’un minimum de sens commun peut se rendre compte qu’un coup violent porté à la tête d’une personne qui n’est pas en état de se protéger peut entraîner une hémorragie cérébrale et, partant, une issue mortelle ».[10]
Une lésion dite grave et permanente peut aussi consister en une incapacité de travail. Cependant, la loi n’apporte aucune précision quant au pourcentage permettant de faire application de cette disposition. Selon la jurisprudence, le Tribunal fédéral a reconnu le cas de lésion corporelle grave pour une victime ayant subi une diminution de sa capacité de gain de 30%.[11]
Dans de tels cas, les auteurs du Commentaire Romand du Code pénal II estiment que l’application de CP 122 est conditionnée à la connaissance, par l’auteur, des circonstances personnelles de la victime.[12] Si tel est le cas, il pourra être sanctionné pour lésions corporelles graves alors que, s’il l’ignorait, il devra être reconnu coupable de lésions corporelles simples et de lésions corporelles (graves) par négligence. Il est finalement précisé que la durée de l’hospitalisation et du rétablissement ne sont pas déterminants lorsque la lésion est durable et sérieuse.[13]
3. Toute autre atteinte grave à l’intégrité corporelle ou la santé physique ou mentale (art. 122 let. c)
Ces atteintes doivent avoir causé des lésions identiques quant à leurs conséquences à celles décrites ci-dessus (let. a et b).
Cette disposition s’applique notamment aux blessures ayant nécessité plusieurs mois d’hospitalisation, de longues et graves souffrances ou de nombreux mois d’arrêt de travail.[14]
A titre d’exemple, le Tribunal fédéral a admis la lésion corporelle grave dans la situation d’une victime ayant présenté quarante-cinq ecchymoses, vingt-huit dermabrasions, vingt-quatre cicatrices, une limitation douloureuse de la cavité buccale, ainsi qu’un syndrome d’érosion cornéenne récidivante ayant persisté pendant dix mois au moins et dont le risque de rechute avait persisté durant des années.[15]
Cette disposition vise également des atteintes à la qualité de vie, par exemple des atteintes qui empêcheraient la victime d’accomplir des actes de la vie quotidienne ou de pratiquer des hobbies.
4. Un lien de causalité entre la lésion corporelle et l'acte de l'auteur
Les lésions corporelles graves doivent se trouver en lien de causalité naturelle et adéquate avec le comportement de l’auteur.
Ainsi, l’acte reproché se trouve en causalité naturelle avec le résultat s’il en constitue une condition sine qua non[16]propre à en causer l’effet ou le résultat. L’on parle de relation mécanique entre le comportement de l’auteur et le résultat dommageable (lésion). Sans ce comportement, la lésion n’aurait tout simplement pas eu lieu[17].
S’agissant de la causalité adéquate, celle-ci doit être admise lorsque le comportement de l’auteur est « propre selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à produire ou à favoriser l’avènement du résultat constaté »[18].
B. Eléments constitutifs subjectifs de l'infraction de lésion corporelle grave
Une lésion corporelle grave doit être commise intentionnellement. La doctrine et la jurisprudence distinguent différents degrés de volonté de l’auteur : le dessein, le dol simple et le dol éventuel :
-
- dessein : l’auteur doit avoir prévu les conséquences de son acte et précisément cherché à les produire, avec conscience et volonté ;
- dol simple : l’auteur ne s’est pas fixé pour but de commettre l’infraction mais a considéré le résultat comme indifférent ou indésirable tout en s’en accommodant de cela car il s’agissait du moyen de parvenir au but recherché ;
- dol éventuel : l’auteur doit avoir envisagé le résultat dommageable et s’en être accommodé.
L’intention de l’auteur – devant naturellement porter sur le caractère grave des blessures infligées à la victime – est déterminante pour l’application de l’art. 122 CP, le dol éventuel étant suffisant.
Par exemple, se rend coupable de lésions corporelles graves par dol éventuel, celui qui frappe sans discernement autrui avec un couteau, dans la mesure où il s’accommode de toute lésion grave subie par la victime.
II. Lésions corporelles simples (art 123 CP)
« 1. Quiconque, intentionnellement, fait subir à une personne une autre atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé est puni sur plainte d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
Abrogé (2e par.)
- L’auteur est poursuivi d’office,
s’il fait usage du poison, d’une arme ou d’un objet dangereux,
s’il s’en prend à une personne hors d’état de se défendre ou à une personne, notamment à un enfant, dont il a la garde ou sur laquelle il a le devoir de veiller,
s’il est le conjoint de la victime et que l’atteinte est commise durant le mariage ou dans l’année qui suit le divorce,
s’il est le partenaire enregistré de la victime et que l’atteinte est commise durant le partenariat enregistré ou dans l’année qui suit sa dissolution judiciaire,
s’il est le partenaire hétérosexuel ou homosexuel de la victime pour autant qu’ils fassent ménage commun pour une durée indéterminée et que l’atteinte soit commise durant cette période ou dans l’année qui suit la séparation ».
A. Eléments constitutifs objectifs de la lésion corporelle simple
1. Lésions corporelles simples définition
Les lésions corporelles simples sont des atteintes à l’intégrité (physique ou psychique) ou à la santé.
Par atteinte à l’intégrité physique, l’on parle tant de blessure externe qu’interne. Celle-ci peut être constatable visuellement ou non. En effet, comme indiqué par le Tribunal fédéral dans une affaire relative à des douleurs consécutives à un accident de la route, l’absence d’hématome ou de lésion « organique » ne suffit pas pour exclure la qualification de lésions corporelles simples. Encore faut-il que ces lésions (invisibles) ne soient pas insignifiantes ou sans importance pour reprendre les termes. Les lésions corporelles simples impliquent généralement un temps de guérison (le cas d’une fracture), ce qui les distingue des voies de fait dont le trouble est instantané ou de très courte durée[19].
Voici quelques termes médicaux généralement associés aux lésions figurant à CP 123, soit :
- les plaies, soit des piqûres, des incisions à bords nets ou lacérations et des déchirures irrégulières souvent étoilées appelées plaies contuses ;
- les fractures qui représentent l’équivalent des plaies contuses au niveau des os ou des organes pleins ;
- les brûlures, soit des lésions provoquées par la chaleur qui se subdivisent en :
-
- brûlures du premier degré (lésions superficielles atteignant ou dépassant à peine la couche de l’épiderme et dont la guérison se fait sans cicatrices) ;
- brûlures du deuxième degré (lésions entraînant la destruction de l’épiderme avec apparition de cloques et dont la guérison se fait généralement sans cicatrices durables) ;
- brûlures du troisième degré (lésions entraînant la destruction totale de l’épiderme et du derme et dont la guérison est caractérisée par des cicatrices).
Autres exemples :
- des dermabrasions couvrant tout un côté du corps à la suite d’une chute à vélo sur la chaussée nécessitant des soins pendant un certain temps afin d’éviter une infection[20] ;
- des tuméfactions et rougeurs dans la région du sourcil et de l’oreille[21];
- un hématome sous-orbitaire lié à la rupture des vaisseaux sanguins avec épanchement sous-cutané provoqué par un coup de poing[22];
- une fracture de la mâchoire inférieure, des éraflures et des égratignures à l’avant-bras et à la main[23];
- des douleurs à la palpation et à la mobilisation du nez, des douleurs aux tempes et sous l’orbite gauche, ainsi que des traces de saignement de la muqueuse nasale[24];
C. Eléments constitutifs subjectifs
2. Lien de causalité entre la lésion corporelle les actes de l'auteur
Les lésions corporelles graves doivent se trouver en lien de causalité naturelle et adéquate avec le comportement de l’auteur.
Ainsi, l’acte reproché se trouve en causalité naturelle avec le résultat s’il en constitue une condition sine qua non[25]propre à en causer l’effet ou le résultat. L’on parle de relation mécanique entre le comportement de l’auteur et le résultat dommageable (lésion). Sans ce comportement, la lésion n’aurait tout simplement pas eu lieu[26].
S’agissant de la causalité adéquate, celle-ci doit être admise lorsque le comportement de l’auteur est « propre selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à produire ou à favoriser l’avènement du résultat constaté »[27].
Tableau comparatif des infractions de lésion
Lésions corporelles graves (CP 122) | Atteintes physiques d’une certaine gravité telles que blessure avec mise en danger de la vie, mutilation, incapacité de travail, infirmité ou maladie mentale permanentes, défiguration ou toute autre atteinte grave à l’intégrité corporelle ou à la santé physique ou mentale. |
Lésions corporelles simples (CP 123) | Atteintes à l’intégrité physique ou psychique ou à la santé, généralement associées à des douleurs. Les lésions résultant de ces blessures nécessitent un certain temps de guérison et, bien souvent, un traitement médical. |
Voies de fait (CP 126) | Atteintes physiques excédant ce qui est socialement toléré mais ne causant ni lésions corporelles, ni dommage à la santé. Les voies de fait consistent ainsi davantage en une perturbation momentanée du bien-être ou en une modification pathologique insignifiante, pouvant être accompagnées de douleurs (peu importantes). |
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[1] AARP/219/2021 du 07.07.2021 sur JTCO/119/2020
[2] ATF 124 IV 53.
[3] ATF 109 IV 18, 20 ; TF, 6B_88/2010 du 20 mai 2010, c. 2.2.
[4] TF, 6B_88/2010 du 20 mai 2010, c. 3.3.1.
[5] TF, 6B_88/2010 du 20 mai 2010, c. 3.3.1
[6] CR CP II-Rémy, art. 122 CP N 6.
[7]CR CP II-Rémy, art. 122 CP N 6.
[8] Ibid.
[9] ATF 135 IV 152 consid. 2.3.2.2; arrêts 6B_40/2021 du 29 septembre 2021 consid. 3.2.3; 6B_139/2020 du 1er mai 2020 consid. 2.3; 6B_1385/2019 du 27 février 2020 consid. 4.3.1.
[10] TF 6B_148/2020 du 2 juillet 2020 consid. 5.2
[11] TF, 6S.341/2005 du 27 octobre 2005, c. 1.4.
[12] CR CP II-RÉMY, art. 122 CP N 6.
[13] ATF 115 IV 17, 20, c. 2b, JT 1990 IV 71.
[14] PC CP, art. 122 N 15.
[15] TF, 6B_486/2009 du 26 octobre 2009, c. 4.3
[16] CR CP II-Rémy, art. 122 CP N 12.
[17] CR CP II-Rémy, art. 122 CP N 12.
[18] CR CP II-Rémy, art. 122 CP N 13.
[19] TF, 1P.695/2001 du 15 janvier 2002, c. 1.3 ; ATF 83 IV 42.
[20] TF, 6B_1209 du 23 mars 2016, c. 2.1.
[21] ATF 127 IV 59, JdT 2003 IV 151.
[22] ATF 119 IV 25, c. 2a.
[23] ATF 103 IV 70, JdT 1978 IV 66.
[24] TF, 6B_517/2008 du 27 août 2006.
[25] CR CP II-Rémy, art. 122 CP N 12.
[26] CR CP II-Rémy, art. 122 CP N 12.
[27] CR CP II-Rémy, art. 122 CP N 13.